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Crim. 19 janvier 2022, n° 21-86.277
Cet arrêt répond à une question pratique importante qui peut vous être posée dans le cadre d’un cas pratique : comment apprécier la durée raisonnable d’une détention provisoire ?
En l’espèce, il était question d’une information judiciaire ouverte du chef de tentative d’assassinat dans le cadre de laquelle la mise en examen, placée en détention provisoire, formait une demande de mise en liberté. La chambre de l’instruction ayant rejeté sa requête, l’intéressée formait ensuite un pourvoi en cassation basé sur deux arguments : – le dépassement du délai maximum de la détention provisoire prévu par la loi et – le dépassement du délai raisonnable de sa détention. Il faut préciser que l’intéressée avait été, dans un premier temps, mise en liberté le 13 février 2018 et astreinte à un contrôle judiciaire qu’elle n’avait pas respecté. Elle avait ensuite été arrêtée aux États-Unis le 9 décembre 2019 sur le fondement d’un mandat d’arrêt international puis placée en détention provisoire dans ce pays. In fine, le 10 février 2021, elle avait été remise à la France dans le cadre d’une procédure d’extradition et immédiatement écrouée.
Au soutien de sa demande de mise en liberté, elle faisait valoir que la détention provisoire ne peut excéder une durée raisonnable et que toute personne arrêtée ou détenue a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable ou libérée pendant la procédure. Dans son cas, elle avait été détenue plus de quatre ans et huit mois, délai qui, selon elle, n’était pas raisonnable et non justifié par des investigations restant à mener ou par la procédure d’extradition. En outre, elle reprochait aux juges du fond de ne pas avoir tenu compte de la durée de la procédure d’extradition pour apprécier si la durée totale de la détention n’avait pas dépassé le délai raisonnable.
Pour rejeter le pourvoi, la chambre criminelle reprend plusieurs arguments intéressants évoqués par les juges du fond. Premièrement, elle observe que la détention avait initialement été prolongée pendant trois ans en raison de la complexité des faits, relatifs à une succession de crimes. Deuxièmement, elle remarque que l’année de détention subie aux États-Unis sera imputée sur une éventuelle condamnation, étant précisé que cette détention n’a pas retardé l’issue de la procédure clôturée en juillet 2020. Enfin, elle relève que l’accusée comparaîtra devant la cour d’assises du 21 au 28 janvier 2022 et qu’ainsi la durée de sa détention provisoire ne dépassera pas le délai raisonnable prévu par la Convention européenne des droits de l’homme au regard des enjeux de la procédure, des investigations menées et du mandat d’arrêt international délivré.
Les hauts magistrats en concluent qu’en l’espèce la détention provisoire était l’unique moyen de garantir la représentation en justice de l’accusée qui avait par le passé montré son incapacité à respecter les obligations du contrôle judiciaire et dont il convenait d’assurer la présence devant la cour d’assises. Ce faisant, elle affirmait que la chambre de l’instruction n’avait pas à prendre en considération, pour apprécier le caractère raisonnable de la durée de la détention provisoire, la durée de la privation de liberté subie à l’étranger.
Savoir comment apprécier le caractère raisonnable d’une détention provisoire n’est pas toujours chose aisée et s’apprécie, pour chaque cas d’espèce, suivant les circonstances de la cause qui reposent notamment sur la nature du litige, son degré de complexité (complexité des faits à élucider ; complexité des problèmes juridiques à trancher ; complexité de la procédure en cause) et son enjeu pour le requérant. Les difficultés sont encore accentuées si, comme c’était le cas en l’espèce, l’intéressé subi une partie de sa détention à l’étranger. L’arrêt rapporté n’est pas le premier à se prononcer sur cette question. En 1993, la chambre criminelle s’était en effet déjà positionnée dans un sens identique en énonçant que la durée de la détention extraditionnelle était régie par les dispositions légales relatives à l’extradition ou par la convention internationale applicable. Elle en déduisait que les dispositions relatives à la durée de la détention provisoire ne lui étaient pas applicables (Crim. 7 sept. 1993, Bull. crim. n° 264). Un arrêt du 8 juin 2016 avait cependant pris le contrepied de cette jurisprudence. En l’espèce, une chambre de l’instruction avait rejeté une demande de mise en liberté formée par une personne en attente du décret d’extradition, qui invoquait la durée excessive de sa privation de liberté en retenant que la personne ne pouvait, s’agissant de la durée de sa détention, invoquer la violation du principe du délai raisonnable, inapplicable en matière d’extradition. La chambre criminelle avait cassé cet arrêt en reprochant à la chambre de l’instruction de ne pas avoir recherché si les autorités françaises conduisaient la procédure d’extradition avec une diligence suffisante (Crim. 8 juin 2016, n° 16-81.912). Par l’arrêt rapporté, la chambre criminelle, revient vers sa position initiale en affirmant, pour rejeter le pourvoi, que la chambre de l’instruction n’avait pas à prendre en considération, pour apprécier le caractère raisonnable de la durée de la détention provisoire, la durée de la privation de liberté subie à l’étranger.
Cet arrêt vient apporter en matière de transport routier d’intéressantes précisions sur un thème classique de votre programme : la compétence des juridictions françaises.
Le code de la route prévoit que toutes les entreprises de transport doivent équiper leurs véhicules d’un appareil de contrôle de la vitesse (le chronotachygraphe ) et le maintenir en bon état de fonctionnement. Cette obligation a pour but de s’assurer du respect des règles relatives aux conditions de travail et à la vitesse des véhicules. L’appareil en question doit en effet permettre d’enregistrer toute une série de données telles que la distance parcourue par le véhicule, le temps de conduite ou le temps de travail effectif en dehors de la conduite, le temps de présence au travail, l’interruption de travail et le temps de repos journalier, l’ouverture du boîtier comprenant la feuille d’enregistrement. Le refus de laisser effectuer les contrôles (par exemple, refus de présenter les documents ou de communiquer les renseignements) est pénalement sanctionné. Indépendamment de la faute du chauffeur qui ne respecte pas ces prescriptions, le représentant légal de la société est aussi considéré comme personnellement responsable en cas de défaut de l’appareil de contrôle (Crim. 20 févr. 1979). Il ne peut en effet se décharger de sa responsabilité sur le conducteur ou sur le vendeur du véhicule équipé de l’appareil.
En l’espèce, un autocar immatriculé en Allemagne, exploité par une société de droit allemand et dont le représentant légal était un ressortissant allemand faisait l’objet d’un contrôle le 2 avril 2013. Lors de la lecture des données enregistrées dans l’appareil de contrôle, les enquêteurs constataient que le véhicule avait circulé sans carte insérée dans le chronotachygraphe durant neuf jours au cours des vingt-huit jours précédents. En conséquence, neuf délits de transport routier sans carte de conducteur insérée dans le chronotachygraphe électronique du véhicule étaient visés dans le procès-verbal.
Le représentant légal de cette société relevait appel du jugement du tribunal correctionnel qui déclarait les faits établis. Les seconds juges confirmaient ce jugement en se fondant sur le principe selon lequel le règlement n° 561/2006, qui prévaut sur les dispositions nationales, déroge au principe de territorialité des poursuites.
Dans son pourvoi en cassation l’intéressé faisait valoir que la dérogation au principe de territorialité des poursuites prévue par le règlement (CE) n° 561/2006 du 15 mars 2006 ne s’appliquait pas à sa situation. En outre, il observait que l’article 113-6 du code pénal, selon lequel la loi pénale française est applicable aux infractions aux dispositions du règlement (CE) n° 561/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 commises dans un autre État membre de l’Union européenne et constatées en France ne prévoit pas que cette extension est applicable aux dispositions relatives aux chronotachygraphes. Ce faisant, il en déduisait que la cour d’appel était incompétente pour connaître de ces délits de transport routier. Son argument revenait à considérer que les juridictions pénales françaises étaient incompétentes pour deux raisons. Premièrement, les délits constatés en France avaient tous été commis en Allemagne, l’autocar se trouvant outre-rhin tous les jours où il lui était reproché de ne pas avoir veillé à l’insertion de la carte du conducteur dans l’appareil de contrôle. Deuxièmement, ni la loi française, en raison du principe de territorialité de la loi pénale, ni le droit de l’Union ne peuvent permettre aux autorités françaises, ayant constaté les délits, de poursuivre leur auteur dès lors que ces infractions ont été commises sur le territoire d’un autre Etat membre de l’Union, en l’espèce l’Allemagne.
Logiquement, la chambre criminelle abonde en son sens. Elle se fonde en effet sur la réponse à la question préjudicielle posée in casu par la Cour de cassation à la Cour de justice de l’Union Européenne. Cette dernière a énoncé que l’article 19, § 2, du règlement n° 561/2006 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que les autorités compétentes d’un État membre puissent imposer une sanction au conducteur d’un véhicule ou à une entreprise de transport, pour une infraction au règlement n° 3821/85, tel que modifié par le règlement n° 561/2006, commise sur le territoire d’un autre État membre ou d’un pays tiers, mais constatée sur son territoire et n’ayant pas déjà donné lieu à sanction. En application de cette règle, la chambre criminelle en déduit que les infractions poursuivies, qui ont pour fondement l’article 15, § 2, du règlement n° 3821/85, pour l’application duquel l’article L. 3315-5, alinéa 1er, du code des transports a été promulgué, ne relèvent pas du champ d’application de l’article 689-12 du code de procédure pénale et ne peuvent être poursuivies lorsque les faits ont été commis à l’étranger par une personne de nationalité étrangère.
Par ces quatre arrêts rendus le même jour à propos des attentats de Nice, de Marseille et de l’assaut de Saint-Denis, la chambre criminelle prend en compte les spécificités propres aux attentats terroristes pour élargir la notion de partie civile en matière de terrorisme.
En matière de lutte contre le terrorisme, le législateur renforce régulièrement son arsenal législatif pour l’adapter à un terrorisme malheureusement de plus en plus protéiforme et imprévisible. L’intérêt majeur de ces arrêts concerne les conditions de recevabilité de la constitution de partie civile en matière terroriste. La particularité de l’action civile exercée devant les juridictions répressives est qu’elle met en mouvement l’action publique, à supposer qu’elle ne l’ait pas déjà été par le ministère public ou une autre victime. Elle a donc un double effet, d’abord civil, pour servir de support à la réparation du dommage causé par l’infraction, ensuite répressif, pour engager le procès pénal. Ce « double visage » en fait une action très efficace, puisque, par la même initiative, c’est doublement que la victime fait valoir ses droits en termes d’indemnisation et de répression. En revanche, lorsqu’elle est seulement portée devant la juridiction civile, l’action civile reste de nature réparatrice, sans aucune incidence sur la dimension pénale des faits à l’origine du dommage. Tirés des articles 3 et 4 du code de procédure pénale, ces principes classiques de droit pénal général ont été bouleversés en matière terroriste par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. L’article 64 de cette loi a en effet confié au tribunal judiciaire de Paris une compétence exclusive pour connaître, en matière civile, de tous les litiges liés à l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme, mettant ainsi fin à la compétence du juge pénal pour se prononcer lui-même sur l’action civile en réparation du dommage causé par de tels actes.
Les conséquences de ce texte ne sont pas négligeables puisque dorénavant l’action civile exercée devant le juge pénal est privée de toute portée réparatrice et indemnitaire, ne lui laissant à l’avenir qu’une portée répressive. Mais encore faut-il que cette action soit recevable, ce qui passe par la double condition que le dommage invoqué pour en soutenir le principe soit, dans les termes de l’article 2 du code de procédure pénale, personnel et direct. C’est précisément sur cet aspect que ces arrêts viennent à leur tour apporter de nouvelles précisions. Par le passé, a par exemple été jugée irrecevable une constitution de partie civile intervenante, pour un attentat commis en Iran, du chef d’association de malfaiteurs en France en vue de préparer des actes de terrorisme, alors qu’aucune circonstance ne permettait d’admettre comme possible la relation directe des préjudices allégués avec les infractions poursuivies (Crim. 17 juin 2008, n° 07-80.339). En l’espèce, ces arrêts viennent élargir la notion de partie civile en matière terroriste. Précisément, dans le cadre de l’attentat de Nice perpétré le 14 juillet 2016, la Cour de cassation adopte une conception élargie de la notion de victime, ce qui lui permet de reconnaître la qualité de partie civile à deux personnes qui n’ont pas été visées directement par l’attentat. C’est le cas d’une femme qui, entendant des cris et des coups de feu le soir du 14 juillet 2016, a sauté sur la plage, en contrebas de la promenade des Anglais, et s’est blessée. Elle n’a pas été heurtée par le camion, n’a pas eu à l’éviter. Mais, pour la Cour de cassation, cette femme a pensé, légitimement, être en danger. Ce faisant, sa tentative de fuite est perçue comme indissociable de l’acte terroriste. C’est également le cas d’un homme qui a voulu neutraliser le conducteur en poursuivant le camion et qui a subi un dommage en cherchant à interrompre l’attentat. Adoptant la même logique, la chambre criminelle considère à propos de l’attentat de Marseille que peut se constituer partie civile devant le juge d’instruction la personne ayant tenté de maîtriser le terroriste qui poignardait une femme sur le parvis de la gare Saint-Charles et ayant subi un traumatisme psychique important.
Ces arrêts sont importants car ils semblent être les témoins d’une nouvelle conception de la partie civile en matière terroriste. Les implications pratiques sont nombreuses et en se fondant sur ces arrêts d’autres personnes qui ont cherché à appréhender les auteurs d’un attentat ou qui se sont blessées en cherchant à éviter un attentat vont peut-être pouvoir se constituer partie civile.
Au sujet de l’assaut de Saint-Denis, la Cour de cassation casse en revanche la décision de la cour d’appel et déclare la constitution de partie civile des locataires, des propriétaires, du syndicat de copropriétaires et de la commune irrecevable. Elle considère en effet que ni les dégâts matériels subis lors de l’assaut par les locataires, les propriétaires et le syndicat des copropriétaires de l’immeuble ni le préjudice d’image invoqué par la commune de Saint-Denis ne résultent directement du recel de malfaiteurs commis par le logeur. Sur ce point, la jurisprudence reste fidèle à sa position traditionnelle (Crim. 12 mars 2019, n° 18-80.911).
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