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Arrêt de la chambre criminelle du 10 novembre 2021, n° 20-84.861
Par plusieurs arrêts récents, le dernier en date ayant été rendu le 10 novembre 2021, la chambre criminelle renforce le droit de se taire de la personne poursuivie. Cet arrêt énonce que toute personne poursuivie doit, avant d’être interrogée sur les faits qui lui sont reprochés, être avertie de son droit de garder le silence, de faire des déclarations et de répondre aux questions qui lui sont posées.
En l’espèce, un mineur était mis en examen par le juge des enfants pour avoir commis un vol par effraction. Préalablement à sa mise en examen, un service éducatif relevant de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse avait établi un Recueil de renseignements socio-éducatifs (RRSE). Ce rapport concluait à l’absence de nécessité d’une mesure éducative. L’intéressé saisissait la chambre de l’instruction d’une requête en nullité de la procédure, au motif que, lors de l’entretien ayant précédé l’établissement du RRSE, l’éducateur avait évoqué les faits avec lui sans qu’il ait été averti de son droit de garder le silence ni de son droit à l’assistance d’un avocat.
Les juges du fond avaient rejeté cette requête. Ils faisaient en effet valoir plusieurs arguments permettant au service de la protection judiciaire de la jeunesse d’établir leur rapport en entendant le mineur sur les faits sans que ce dernier soit averti de son droit de garder le silence et de son droit à l’assistance d’un avocat. Selon eux, ce rapport spécifique à la justice des mineurs vise seulement à formuler une proposition éducative et à permettre au juge d’en apprécier la pertinence. C’est d’ailleurs uniquement dans ce but que le service de la protection judiciaire de la jeunesse recueille la position du mineur sur les faits. Ce faisant, pour les juges du fond, les éducateurs peuvent, dès lors qu’ils conduisent un entretien dans le cadre de l’établissement d’un RRSE, évoquer les faits avec le mineur sans l’avertir de son droit de garder le silence et de son droit à l’assistance d’un avocat.
La chambre criminelle ne partage pas cette position. Au visa des articles 6, §§ 1er et 3, de la Convention européenne des droits de l’homme, 171 et 174 du code de procédure pénale elle énonce que toute personne poursuivie doit, avant d’être interrogée sur les faits qui lui sont reprochés, être avertie de son droit de garder le silence, de faire des déclarations et de répondre aux questions qui lui sont posées.
La cassation est donc uniquement encourue du chef de violation du droit de garder le silence. La Cour de cassation considère qu’en l’absence de notification faite au mineur de son droit au silence, la chambre de l’instruction devait prononcer l’annulation partielle du rapport établi par les services éducatifs en supprimant les passages relatifs aux déclarations et aux réponses faites par le mineur aux questions portant sur les faits.
Cette cassation qui s’inscrit dans la construction d’un droit de plus en plus protecteur de la personne poursuivie, fait largement écho aux récentes déclarations d’inconstitutionnalité rendues sur le fondement du droit de se taire (Cons. const. 30 sept. 2021, n° 2021-935 QPC,; 30 sept. 2021, n° 2021-934 QPC). En effet, dans ces deux décisions de non-conformité totale, le Conseil constitutionnel a déclaré non conformes les articles 145 et 394 du code de procédure pénale car ils ne prévoyaient pas que la personne poursuivie soit informée de son droit de se taire.
Par cette décision, le Conseil constitutionnel déclare l’article 226-2-1 du code pénal, relatif à la diffusion d’enregistrements ou de documents portant sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel, conforme à la Constitution. Les Sages fondent leur décision sur le principe de légalité, ce qui rappelle l’importance de ce principe en matière pénale.
Consacré à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le principe de légalité implique que le droit pénal de fond, comme la procédure pénale, aient une source légale : seul le législateur est compétent pour définir les incriminations (à l’exception des contraventions en vertu des art. 34 et 37 de la Constitution). Ainsi, pour le Conseil constitutionnel, le principe de la légalité lui permet de porter son contrôle à la fois sur la qualité de la définition des infractions mais aussi sur le choix des éléments de définition des infractions.
Le texte contesté incrimine le fait, en l’absence d’accord de la personne pour la diffusion, de porter à la connaissance du public ou d’un tiers tout enregistrement ou tout document portant sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel, obtenu, avec le consentement exprès ou présumé de la personne ou par elle-même. Les requérants considèrent que le législateur n’a pas précisé, dans son texte, ce qu’il faut entendre par paroles ou images à « caractère sexuel » ni les conditions dans lesquelles est appréciée l’absence de consentement à leur diffusion. Il est également fait grief au législateur de ne pas avoir suffisamment déterminé les conditions dans lesquelles sont captées ces paroles ou images ainsi que les modalités de leur diffusion. Dans le même esprit, il lui est enfin reproché de ne pas avoir précisé en quoi doit consister l’élément intentionnel de l’infraction. Or, seul le législateur peut – et c’est même une obligation – fixer le champ d’application de la loi pénale et définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire. Ce faisant, pour les requérants, le silence gardé par le législateur sur ces aspects méconnaitrait nécessairement le principe de légalité des délits et des peines.
L’intérêt de cette QPC est de rappeler que toute interprétation n’est pas exclue en droit pénal, le principe de la légalité des délits et des peines ne signifiant pas qu’il n’y a aucune place pour l’interprétation de la loi. Ce principe exige que les incriminations soient définies « en termes suffisamment clairs et précis », non « en termes clairs et précis ». L’interprétation jurisprudentielle est en pratique inévitable, mais elle doit être encadrée pour ne pas laisser place à l’arbitraire.
Selon l’article 515 alinéa 2 du code de procédure pénale, la cour ne peut, sur le seul appel du prévenu, du civilement responsable, de la partie civile ou de l’assureur de l’une de ces personnes, aggraver le sort de l’appelant. Au visa de cet article auquel la chambre criminelle associe l’article 509 du code de procédure pénale, la haute juridiction énonce que si l’évocation par la cour d’appel permet aux juges du second degré de statuer sur le fond, elle ne saurait cependant, lorsque les premiers juges ont eux-mêmes déjà statué au fond, faire échec aux principes qui régissent l’effet dévolutif de l’appel. Ce faisant, dans cet arrêt de cassation, la chambre criminelle en déduit que, saisie des seuls appels des prévenus et du ministère public, la cour d’appel ne pouvait pas modifier, au profit des parties civiles, un jugement contre lequel elles n’avaient pas formé appel.
Cette solution logique tire les conséquences de la jurisprudence déjà rendue au sujet de l’application de l’article 515 du code de procédure pénale aux parties civiles et de la prohibition des demandes nouvelles à hauteur d’appel. En effet, en raison du double degré de juridiction et du principe de l’égalité devant la justice, la partie civile ne peut, en cause d’appel, présenter aucune demande nouvelle. Ainsi, lorsqu’une partie civile a obtenu en première instance le montant intégral des dommages-intérêts qu’elle sollicitait, elle ne peut, en cause d’appel, demander une augmentation de ce montant. Cette solution s’explique aussi par les liens particuliers unissant l’évocation et l’effet dévolutif de l’appel. En effet, si l’évocation prononcée par la cour d’appel, en vertu des dispositions de l’article 520 du code de procédure pénale, permet aux juges du second degré de remplir directement la mission des premiers juges, elle ne saurait cependant, lorsque ces derniers ont déjà statué au fond, faire échec aux principes relatifs à l’effet dévolutif de l’appel.
PAR DOROTHÉE GOETZ
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