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[Droit social, Libertés fondamentales]
Statuant en formation plénière, la chambre sociale de la Cour de cassation vient de rendre deux décisions de grande importance par lesquelles elle valide le très controversé barème d’indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse, plus communément appelé « barème Macron ».
Les éléments qui suivent visent à en comprendre les enjeux et la portée.
Ce barème a été créé par l’ordonnance du 22 septembre 2017 modifiant l’article L. 1235-3 du code du travail. Il détermine l’indemnité que doit verser l’employeur à un salarié lorsqu’il le licencie sans cause réelle et sérieuse. Ce barème, fixé au regard du salaire du salarié, tient compte de l’ancienneté de ce dernier dans l’entreprise. Le niveau d’indemnisation est strictement encadré : la somme pouvant être versée est soumise à un plancher et à un plafond.
Aux termes de l’étude d’impact sur le projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social les objectifs poursuivis par ces mesures étaient :
Il est à noter que sont exclus de ce dispositif les licenciements résultant d’une discrimination ou de faits de harcèlement, car ces cas constituent une atteinte à l’intégrité de la personne.
Cette mesure était critiquée par les syndicats de travailleurs et par une partie de l’opposition comme instituant un véritable « permis de licencier ».
La loi ratifiant les différentes ordonnances prises sur le fondement de la loi n°2017/1340 du 15 septembre 2017 d’habilitation à prendre par ordonnance des mesures pour le renforcement du dialogue social, a été déférée au Conseil constitutionnel par l’opposition parlementaire.
Dans sa décision du 21 mars 2018, le Conseil constitutionnel avait admis la constitutionnalité du barème institué par l’ordonnance. Pour le juge constitutionnel, il résulte des dispositions de l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme qu’en principe, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer et la faculté d’agir en responsabilité met en œuvre cette exigence constitutionnelle. Pour autant, cette exigence « ne fait pas obstacle à ce que le législateur aménage, pour un motif d’intérêt général, les conditions dans lesquelles la responsabilité peut être engagée. Il peut ainsi, pour un tel motif, apporter à ce principe des exclusions ou des limitations à condition qu’il n’en résulte pas « une atteinte disproportionnée aux droits des victimes d’actes fautifs ». En l’espèce, le Conseil relève :
1° qu’en fixant un référentiel obligatoire pour les dommages et intérêts alloués par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le législateur a entendu renforcer la prévisibilité des conséquences qui s’attachent à la rupture du contrat de travail. Il a ainsi poursuivi un objectif d’intérêt général.
2° que l’indemnité ainsi encadrée a pour objet de réparer le préjudice né d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et, le cas échéant, celui né de l’absence de respect de la priorité de réembauche et de la méconnaissance des procédures de consultation des représentants du personnel ou d’information de l’autorité administrative ou de l’obligation de mise en place d’un comité social et économique. Les montants maximaux de cette indemnité fixés par la loi varient, selon l’ancienneté du salarié, entre un et vingt mois de salaire brut. Il ressort des travaux préparatoires que ces montants ont été déterminés en fonction des « moyennes constatées » des indemnisations accordées par les juridictions.
3° Conformément aux dispositions de l’article L. 1235-1 du code du travail, ces maximums ne sont pas applicables lorsque le licenciement est entaché d’une nullité résultant de la violation d’une liberté fondamentale, de faits de harcèlement moral ou sexuel, d’un licenciement discriminatoire ou consécutif à une action en justice, d’une atteinte à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, de la dénonciation de crimes et délits, de l’exercice d’un mandat par un salarié protégé ou des protections dont bénéficient certains salariés.
Il en résulte que la dérogation au droit commun de la responsabilité pour faute, résultant des maximums prévus par les dispositions contestées, « n’institue pas des restrictions disproportionnées par rapport à l’objectif d’intérêt général poursuivi. »
La Cour de cassation contrôle ici la conventionnalité des dispositions législatives instituant le barème Macron.
Conformément à la décision IVG, il appartient aux juridictions ordinaires de contrôler la compatibilité de la loi avec les engagements internationaux de la France (décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975). Or, dans les affaires en cause, c’est la conformité du barème Macron à la Convention n°158 de l’OIT et à la Charte sociale européenne qui était contestée.
Elle est triple :
1° La cour considère que le barème d’indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse n’est pas contraire à l’article 10 de la convention n°158 de l’Organisation internationale du travail dès lors que :
Partant et au regard de la marge d’appréciation laissée aux États et de l’ensemble des sanctions prévues par le droit français en cas de « licenciement injustifié », la Cour de cassation juge le barème compatible avec l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT.
2° Le juge français ne peut écarter, même au cas par cas, l’application du barème au regard de cette convention internationale. Il peut arriver aux juridictions d’admettre la conventionnalité d’une loi tout en acceptant d’en écarter l’application au regard des circonstances propres à l’espèce. Tel fut le cas, par exemple, dans la décision Gomez rendue par le Conseil d’Etat, à propos de l’assistance médicale à la procréation (CE Ass., 31 mai 2016, Gonzalez-Gomez, n° 396848). La haute juridiction administrative avait jugé que la
compatibilité de la loi avec les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales « ne fait pas obstacle à ce que, dans certaines circonstances particulières, l’application de dispositions législatives puisse constituer une ingérence disproportionnée dans les droits garantis par cette convention ». Il appartient par conséquent au juge d’apprécier concrètement si, au regard des finalités des dispositions législatives en cause, l’atteinte aux droits et libertés protégés par la convention qui résulte de la mise en œuvre de dispositions, par elles-mêmes compatibles avec celle-ci, n’est pas excessive. Il s’agit alors d’un contrôle juridictionnel dit in concreto qui prolonge le contrôle abstrait de la conventionnalité de la loi.
Toutefois, en matière d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’application d’un tel contrôle :
3 ° La loi française ne peut faire l’objet d’un contrôle de conformité à l’article 24 de la Charte sociale européenne, qui n’est pas d’effet direct.
La Cour de cassation rappelle les critères de l’effet direct : « sous réserve des cas où est en cause un traité international pour lequel la Cour de justice de l’Union européenne dispose d’une compétence exclusive pour déterminer s’il est d’effet direct, les stipulations d’un traité international, régulièrement introduit dans l’ordre juridique interne conformément à l’article 55 de la Constitution, sont d’effet direct dès lors qu’elles créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir et que, eu égard à l’intention exprimée des parties et à l’économie générale du traité invoqué, ainsi qu’à son contenu et à ses termes, elles n’ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l’intervention d’aucun acte complémentaire pour produire des effets à l’égard des particuliers ».
Or, il résulte des dispositions précitées de la Charte sociale européenne que les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs, poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en œuvre nécessite qu’ils prennent des actes complémentaires d’application.
Pour l’exprimer autrement, la Charte énonce des obligations de moyens mais non de résultat. Il appartient aux Etats d’adopter les mesures qui permettront d’atteindre les objectifs qu’elle énonce. Ainsi, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que, les dispositions de la Charte sociale européenne n’étant pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, l’invocation de son article 24 ne pouvait pas conduire à écarter l’application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail.
Par Matthieu THAURY
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