[Droit social, Libertés fondamentales] 

  • Cour de cassation, 11 mai 2022, pourvoi n° 21-14.490 (Chambre sociale – Formation  plénière de chambre).  
  • Cour de cassation, 11 mai 2022, Pourvoi n° 21-15.247 (Chambre sociale – Formation  plénière de chambre)

Statuant en formation plénière, la chambre sociale de la Cour de cassation vient de rendre  deux décisions de grande importance par lesquelles elle valide le très controversé barème  d’indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse, plus communément appelé  « barème Macron ».  

Les éléments qui suivent visent à en comprendre les enjeux et la portée.

 

Qu’est-ce que le « barème Macron » ? 

Ce barème a été créé par l’ordonnance du 22 septembre 2017 modifiant l’article L. 1235-3 du  code du travail. Il détermine l’indemnité que doit verser l’employeur à un salarié lorsqu’il le  licencie sans cause réelle et sérieuse. Ce barème, fixé au regard du salaire du salarié, tient  compte de l’ancienneté de ce dernier dans l’entreprise. Le niveau d’indemnisation est  strictement encadré : la somme pouvant être versée est soumise à un plancher et à un  plafond. 

Aux termes de l’étude d’impact sur le projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances  les mesures pour le renforcement du dialogue social les objectifs poursuivis par ces mesures  étaient : 

  • de lever les freins au recrutement, en accroissant la prévisibilité des décisions rendues  et en sécurisant les entreprises, notamment les TPE-PME, au regard des risques liés à  la rupture du contrat de travail ;
  • de renforcer l’égalité de traitement devant la justice et faciliter la résolution des litiges,  notamment en incitant à la conciliation et en diminuant le taux d’appel (taux supérieur  à 60 %). 

Il est à noter que sont exclus de ce dispositif les licenciements résultant d’une discrimination  ou de faits de harcèlement, car ces cas constituent une atteinte à l’intégrité de la personne. 

Cette mesure était critiquée par les syndicats de travailleurs et par une partie de l’opposition  comme instituant un véritable « permis de licencier ».

 

Quid de la constitutionnalité de ce barème ?  

La loi ratifiant les différentes ordonnances prises sur le fondement de la loi n°2017/1340 du  15 septembre 2017 d’habilitation à prendre par ordonnance des mesures pour le  renforcement du dialogue social, a été déférée au Conseil constitutionnel par l’opposition  parlementaire. 

Dans sa décision du 21 mars 2018, le Conseil constitutionnel avait admis la constitutionnalité  du barème institué par l’ordonnance. Pour le juge constitutionnel, il résulte des dispositions de l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme qu’en principe, tout fait quelconque de  l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le  réparer et la faculté d’agir en responsabilité met en œuvre cette exigence constitutionnelle.  Pour autant, cette exigence « ne fait pas obstacle à ce que le législateur aménage, pour un  motif d’intérêt général, les conditions dans lesquelles la responsabilité peut être engagée. Il  peut ainsi, pour un tel motif, apporter à ce principe des exclusions ou des limitations à  condition qu’il n’en résulte pas « une atteinte disproportionnée aux droits des victimes d’actes  fautifs ». En l’espèce, le Conseil relève :  

1° qu’en fixant un référentiel obligatoire pour les dommages et intérêts alloués par le juge en  cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le législateur a entendu renforcer la  prévisibilité des conséquences qui s’attachent à la rupture du contrat de travail. Il a ainsi  poursuivi un objectif d’intérêt général. 

2° que l’indemnité ainsi encadrée a pour objet de réparer le préjudice né d’un licenciement  sans cause réelle et sérieuse et, le cas échéant, celui né de l’absence de respect de la priorité  de réembauche et de la méconnaissance des procédures de consultation des représentants  du personnel ou d’information de l’autorité administrative ou de l’obligation de mise en place  d’un comité social et économique. Les montants maximaux de cette indemnité fixés par la loi  varient, selon l’ancienneté du salarié, entre un et vingt mois de salaire brut. Il ressort des  travaux préparatoires que ces montants ont été déterminés en fonction des « moyennes  constatées » des indemnisations accordées par les juridictions

3° Conformément aux dispositions de l’article L. 1235-1 du code du travail, ces maximums ne  sont pas applicables lorsque le licenciement est entaché d’une nullité résultant de la  violation d’une liberté fondamentale, de faits de harcèlement moral ou sexuel, d’un  licenciement discriminatoire ou consécutif à une action en justice, d’une atteinte à l’égalité  professionnelle entre les femmes et les hommes, de la dénonciation de crimes et délits, de  l’exercice d’un mandat par un salarié protégé ou des protections dont bénéficient certains  salariés. 

Il en résulte que la dérogation au droit commun de la responsabilité pour faute, résultant des  maximums prévus par les dispositions contestées, « n’institue pas des restrictions  disproportionnées par rapport à l’objectif d’intérêt général poursuivi. »

 

Pourquoi la Cour de cassation statue-t-elle à nouveau sur la validité du barème Macron ?  

La Cour de cassation contrôle ici la conventionnalité des dispositions législatives instituant le  barème Macron.  

Conformément à la décision IVG, il appartient aux juridictions ordinaires de contrôler la  compatibilité de la loi avec les engagements internationaux de la France (décision n° 74-54  DC du 15 janvier 1975). Or, dans les affaires en cause, c’est la conformité du barème Macron  à la Convention n°158 de l’OIT et à la Charte sociale européenne qui était contestée. 

 

Quelle est la portée des arrêts de la Cour de cassation ?  

Elle est triple :  

1° La cour considère que le barème d’indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et  sérieuse n’est pas contraire à l’article 10 de la convention n°158 de l’Organisation  internationale du travail dès lors que :  

  • Le droit français dissuade de licencier sans cause réelle et sérieuse 
  • Le droit français permet une indemnisation raisonnable du licenciement injustifié Comme vu précédemment, l’indemnisation des licenciements nuls n’est pas soumise  au barème. 

Partant et au regard de la marge d’appréciation laissée aux États et de l’ensemble des  sanctions prévues par le droit français en cas de « licenciement injustifié », la Cour de  cassation juge le barème compatible avec l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT. 

2° Le juge français ne peut écarter, même au cas par cas, l’application du barème au regard  de cette convention internationale. Il peut arriver aux juridictions d’admettre la  conventionnalité d’une loi tout en acceptant d’en écarter l’application au regard des  circonstances propres à l’espèce. Tel fut le cas, par exemple, dans la décision Gomez rendue  par le Conseil d’Etat, à propos de l’assistance médicale à la procréation (CE Ass., 31 mai 2016,  Gonzalez-Gomez, n° 396848). La haute juridiction administrative avait jugé que la 

compatibilité de la loi avec les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des  droits de l’homme et des libertés fondamentales « ne fait pas obstacle à ce que, dans certaines  circonstances particulières, l’application de dispositions législatives puisse constituer une  ingérence disproportionnée dans les droits garantis par cette convention ». Il appartient par  conséquent au juge d’apprécier concrètement si, au regard des finalités des dispositions  législatives en cause, l’atteinte aux droits et libertés protégés par la convention qui résulte de  la mise en œuvre de dispositions, par elles-mêmes compatibles avec celle-ci, n’est pas  excessive. Il s’agit alors d’un contrôle juridictionnel dit in concreto qui prolonge le contrôle  abstrait de la conventionnalité de la loi.  

Toutefois, en matière d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’application d’un tel contrôle : 

  • créerait pour les justiciables une incertitude sur la règle de droit applicable, qui serait  susceptible de changer en fonction de circonstances individuelles et de leur  appréciation par les juges ; 
  • porterait atteinte au principe d’égalité des citoyens devant la loi, garanti à l’article 6  de la Déclaration des droits de l’homme de 1789.
 

3 ° La loi française ne peut faire l’objet d’un contrôle de conformité à l’article 24 de la Charte  sociale européenne, qui n’est pas d’effet direct

La Cour de cassation rappelle les critères de l’effet direct : « sous réserve des cas où est en  cause un traité international pour lequel la Cour de justice de l’Union européenne dispose  d’une compétence exclusive pour déterminer s’il est d’effet direct, les stipulations d’un traité  international, régulièrement introduit dans l’ordre juridique interne conformément à l’article  55 de la Constitution, sont d’effet direct dès lors qu’elles créent des droits dont les particuliers  peuvent se prévaloir et que, eu égard à l’intention exprimée des parties et à l’économie  générale du traité invoqué, ainsi qu’à son contenu et à ses termes, elles n’ont pas pour objet  exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l’intervention d’aucun acte  complémentaire pour produire des effets à l’égard des particuliers ». 

Or, il résulte des dispositions précitées de la Charte sociale européenne que les Etats  contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs, poursuivis par tous les  moyens utiles, dont la mise en œuvre nécessite qu’ils prennent des actes complémentaires  d’application.  

Pour l’exprimer autrement, la Charte énonce des obligations de moyens mais non de résultat.  Il appartient aux Etats d’adopter les mesures qui permettront d’atteindre les objectifs qu’elle  énonce. Ainsi, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que, les dispositions de la Charte  sociale européenne n’étant pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers,  l’invocation de son article 24 ne pouvait pas conduire à écarter l’application des dispositions  de l’article L. 1235-3 du code du travail.

Par Matthieu THAURY 

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