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[Réforme de la justice ; Pologne ; Cour de justice de l’union européenne]
Le 20 décembre 2019, la Pologne a adopté une loi relative à l’organisation des juridictions de droit de commun, administratives et de la Cour suprême. La Commission européenne affirme que la loi adoptée méconnait des dispositions du droit de l’Union. Elle introduit alors un recours en manquement devant la Cour de justice de l’union européenne. Dans un arrêt rendu le 5 juin 2023 en formation de grande chambre, la Cour fait droit au recours de la Commission.
Depuis 2015, la Pologne entreprend des réformes de la justice fragilisant son indépendance. Ces dernières portent tant sur la composition que sur le fonctionnement des juridictions nationales. Le tribunal constitutionnel en a été la première cible. Il compte désormais exclusivement des membres favorables au gouvernement. Les juridictions ordinaires ont fait l’objet d’une deuxième vague réformatrice avec l’abaissement de l’âge de la retraite obligatoire pour l’ensemble des juges. Le Président de la République et le ministre de la Justice conservent la possibilité de prolonger respectivement le mandat de membres de la Cour suprême ou de juges ordinaires. Un objectif s’affirme : un renouvellement du corps de la magistrature écartant les juges trop critiques à l’égard du pouvoir en place.
La loi du 20 décembre 2019 s’insère dans cette logique. Elle confère à la Cour suprême polonaise des compétences lui permettant d’agir sur le statut et l’exercice des fonctions de juge. Elle interdit en sus à toutes les juridictions de statuer sur le respect des exigences européennes en matière d’indépendance et d’impartialité des tribunaux. La transgression de cette interdiction est érigée en infraction disciplinaire. Désormais seule la chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême polonaise sera compétente en la matière. Enfin, la loi impose de nouvelles obligations aux magistrats. Ils doivent communiquer toutes leurs activités associatives ainsi que leur appartenance politique passée et actuelle. Ces informations sont ensuite rendues publiques.
Considérant que ces mesures affectent l’indépendance et l’impartialité des juridictions et violent le droit au respect de la vie privée ainsi que le droit à la protection des données à caractère personnel, la Commission introduit un recours en manquement. Au cours de la procédure, la Pologne a été condamnée par la Cour le 27 octobre 2021 à payer la somme d’un million d’euros par jour jusqu’à suspension des effets de la loi de 2019. Par une ordonnance du 21 avril 2023, la Cour a réduit cette amende à 500 000 euros par jour.
Pour rappel, le manquement est une action ou une inaction contraire au droit européen. C’est une méconnaissance de ses obligations par un Etat membre. Un acte juridique peut le concrétiser, mais également un comportement factuel, ou une simple tolérance. En l’espèce, c’est la loi du 20 décembre 2019 qui caractérise le manquement.
Sous l’angle de la procédure, la Commission, gardienne des traités, va apprécier s’il y a lieu de déclencher le manquement. Dans un premier temps, elle adresse une lettre à l’Etat et engage une procédure contradictoire. A sa suite, la Commission rend un avis motivé. Elle peut se ranger à la position de l’Etat, maintenir sa position ou encore la modifier partiellement. Dans un deuxième temps, l’Etat se conforme ou non à l’avis rendu. S’il ne le fait pas, la Commission peut saisir le juge européen du manquement. L’originalité du recours est qu’il est assimilable à une action en responsabilité civile, mais aboutit à une sanction « forfaitaire » et non à une réparation indexée sur le préjudice causé. Il s’apparente en ce sens à une action pénale. On aboutit à une condamnation, qui n’est pas liée à l’ampleur du préjudice mais à la gravité du manquement commis. Elle a une fonction dissuasive, avec pour objectif la disparition du trouble à l’ordre public.
Dans sa décision, la Cour confirme que la réforme de la justice mise en œuvre en décembre 2019 enfreint le droit de l’Union européenne. Elle décide toutefois de lever l’astreinte financière de 500 000 euros par jour à compter du 5 juin. La Pologne doit désormais s’acquitter des astreintes impayées dont le montant dépasse aujourd’hui les 550 millions d’euros. La Cour s’affirme ainsi garante de la restauration d’une justice polonaise indépendante et impartiale.
Ines GANDILLET
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