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[Droit constitutionnel budgétaire ; situations exceptionnelles d’urgence]
Dans un arrêt du 15 novembre 2023, la Cour de justice de Karlsruhe affirme que la règle limitant l’emprunt public à 0,35% du PIB n’a pas été respectée par la réaffectation en février 2022 de 60 milliards d’euros. Initialement prévue pour amortir l’impact de la crise du coronavirus, cette somme n’a pas été utilisée. Le législateur allemand a donc décidé de déplacer cette somme vers un fonds spécial « Énergie et climat ». Cette réaffectation est contraire au droit constitutionnel budgétaire allemand.
Contrairement à la France, l’Allemagne a fait le choix en 2009 d’inscrire dans sa constitution une « règle d’or » budgétaire. Son objectif est de freiner l’endettement notamment en limitant l’emprunt public à 0,35% du PIB. En cas de situation exceptionnelle, la loi fondamentale prévoit la possibilité de s’écarter de cette limite. Ces exceptions ont pour objectif de permettre le financement de politiques conjoncturelles dues à une catastrophe naturelle ou une situation d’urgence exceptionnelle. Les juges constitutionnels distinguent ces mesures réactionnelles de celles qui répondent à des évolutions de la conjoncture. Si ces dernières doivent effectivement faire l’objet d’investissements de long terme, elles doivent respecter les règles budgétaires constitutionnelles.
La Cour examine d’une part si le législateur a démontré l’existence d’un lien de causalité entre la situation d’urgence et le dépassement des plafonds de crédit. Or, plus le constat de la situation d’urgence est éloigné dans le temps de la mesure budgétaire engagée, plus le législateur doit justifier sa nécessité. En l’espèce, l’utilisation des 60 milliards d’euros n’a pas été suffisamment justifiée.
D’autre part, la Cour s’intéresse au respect d’une « exigence temporelle ». Ce principe constitutionnel découle d’une lecture combinée des principes d’annualité, d’annuité et d’échéance. Les fonds spéciaux ne peuvent être utilisés que dans le cadre de l’exercice budgétaire pour lequel ils sont prévus. Or, le support juridique autorisant la réaffectation des sommes est une loi de finance rectificative pour 2021. Enfin, au regard du principe d’antériorité, l’adoption d’une loi rectificative ne peut intervenir qu’en amont de la fin de l’exercice budgétaire. En l’espèce, la loi a été adoptée après l’exécution budgétaire.
Les besoins de financement importants à venir, notamment en matière de transition écologique, questionnent quant au maintien de la « règle d’or » budgétaire telle qu’elle existe aujourd’hui dans la loi fondamentale allemande et au sein des règles européennes. Au niveau européen, l’activation de la clause dérogatoire a permis aux états de déroger à ces règles jusqu’à fin 2023. Après cette date, la procédure pour déficit excessif pourra de nouveau être actionnée. Les difficultés du législateur allemand à respecter ces règles jette un certain discrédit sur son inflexibilité aux demandes d’assouplissement des règles européennes.
Conclusion : À la suite d’une lecture stricte de la Loi fondamentale, le Tribunal constitutionnel censure les dispositions permettant la réaffectation de 60 milliards d’euros destinés à amortir la crise du coronavirus vers un fonds spécial pour le climat et la transformation de l’économie. Ce fonds de 212 milliards d’euros est donc réduit de 60 milliards. Le coup de frein à l’endettement de la Cour constitutionnelle allemande questionne l’adéquation de la règle d’or avec les enjeux contemporains auxquels doivent répondre les puissances étatiques.
Ines Gandillet
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