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[Constitutionnalisation ; Interruption volontaire de grossesse ; Sénat]
Simone de Beauvoir arguait « qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant ». L’arrêt Dobbs rendu le 24 juin 2022 par la Cour suprême des États-Unis en est une illustration tristement éloquente. La réception française de ce recul du droit des femmes a permis de reprendre le débat de la constitutionnalisation du droit à l’interruption volontaire de grossesse. Depuis lors, une première proposition de loi constitutionnelle visant à protéger le droit fondamental à l’IVG a été rejetée par le Sénat le 19 octobre 2022.
Alors qu’en matière de droit des femmes, l’histoire nous montre que rien n’est jamais acquis, une partie de la doctrine soutenait que la constitutionnalisation du droit à l’avortement n’était pas justifiée. À cette fin, il était avancé que depuis la loi du 17 janvier 1975, aucun parti politique n’a jamais souhaité remettre en cause ce droit qui n’a, au contraire, qu’été renforcé. L’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution n’aurait de plus pas d’impact sur l’état du droit. Parce qu’actuellement elle serait juridiquement inutile, une telle constitutionnalisation ne serait pas opportune. Toutefois, est-il souhaitable d’attendre que ce droit soit en danger pour agir ?
La constitutionnalisation d’un droit n’est jamais neutre. Il a d’une part un effet symbolique sur les mœurs et d’autre part il protège ledit droit des aléas politiques. En effet, un droit qui est protégé par la loi peut également être supprimé par cette dernière. Or, la loi est faite et votée à l’Assemblée nationale et au Sénat. Elle est donc à la merci des changements politiques. En Europe et notamment en Pologne ou en Hongrie on constate que les forces politiques ont conduit à un recul de ce droit. Le droit à l’avortement doit-il être en proie aux volonté politiques ?
La députée Mathilde Panot n’est pas de cet avis puisqu’elle a déposé, le 7 octobre 2022, une proposition de loi visant à constitutionnaliser le droit à l’IVG. L’Assemblée nationale l’a adopté en première lecture le 24 novembre 2022 avec 337 voix pour et seulement 32 contre. Le 1er février 2023, le Sénat a adopté la proposition de loi avec 166 voix pour et 152 contre. Une adoption étonnante qui ne peut être comprise qu’après lecture des modifications apportées par le Sénat.
La proposition a été modifiée substantiellement d’abord puisqu’il n’est plus question d’un droit à l’interruption volontaire de grossesse mais d’une « liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse ». Ce faisait, le législateur n’est plus créancier d’obligations visant à garantir l’effectivité et l’égal accès à l’IVG. Le sénat a fait le choix de se limiter à la consécration d’une « liberté ». Consécration en demi-teinte puisque le Conseil constitutionnel avait déjà, par une décision du 27 juin 2001, reconnu l’existence de cette liberté. Cette modification du texte le vide donc de sa substance en fermant la porte à sa force contraignante. Or, comme le rappellent S. Hennette-Vauchez, D. Roman et S. Slamale, le droit à l’avortement entendu simplement comme une liberté d’y recourir ne permet pas d’en faire le droit-créance conditionnant « la pleine égalité entre les personnes ».
Formellement, le texte adopté par le Sénat témoigne de sa volonté d’en amoindrir le rayonnement puisqu’il a écarté l’introduction dans la Constitution d’un nouvel article (Art 66-2) au profit de l’ajout d’un nouvel alinéa à l’article 34. Le choix des parlementaires d’inscrire ce droit au sein du titre relatif à l’autorité judiciaire, a été critiqué par la doctrine. Pourtant, à l’instar de l’abolition de la peine de mort inscrite à l’article 66-1 de la Constitution, il s’agit de lui donner son caractère fondamental et autonome. En effet, l’emplacement d’un droit dans la constitution est aussi le symbole de sa place dans notre pacte social. Le
choix d’inscrire cette simple liberté au sein de l’article 34 prive le droit à l’IVG de son statut de droit fondamental à part entière et de toutes les garanties substantielles que cela implique. Il est temps de donner au droit à l’avortement la place fondamentale qu’il doit avoir dans nos sociétés !
Inès GANDILLET
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